Entre innovation et imitation : où tracer la frontière dans le secteur des jeux vidéo ?
Quelques éléments de réponse nous sont apportés sur cette question par le Tribunal de Paris, dans une affaire opposant deux éditeurs de jeux vidéo.
Le droit d’auteur : ou quand l’originalité se heurte au fond commun des jeux vidéo
Dans une décision récemment rendue par le Tribunal Judiciaire de Paris (Tribunal judiciaire, Paris, 3ème chambre, 1ère section, 7 novembre 2024 – n° 24/02849) opposant MadBox à Lava Games, les juges ont rejeté la demande de protection de Pocket Champs au titre du droit d’auteur. MadBox prétendait que son jeu, combinant un gameplay idle à un jeu de course, portait l’empreinte de la personnalité de son auteur. Cependant, le tribunal a souligné que ces éléments relevaient du “fonds commun” des jeux vidéo.
Le jugement est clair : la seule combinaison d’un mode idle avec des courses est une idée générique, non protégeable. Quant aux éléments graphiques, bien que MadBox les ait décrits comme uniques (design épuré, personnages enfantins et couleurs vives), le Tribunal a estimé qu’ils rappelaient des jeux préexistants tels que Fall Guys ou Mario Kart. Le Tribunal en conclu logiquement que le jeu vidéo dont la protection est revendiquée « ne constitue pas une œuvre de l’esprit portant l’empreinte de la personnalité de son auteur ».
Concurrence déloyale : aucun risque de confusion du point de vue du consommateur
Sur le terrain de la concurrence déloyale, MadBox soutenait que Lava Games avait copié servilement son jeu, créant ainsi un risque de confusion pour le consommateur. Sur ce point également, le Tribunal a tranché en faveur de Lava Games.
Le nom des jeux (Pocket Champs et Afar Rush), leur éditeur, et l’univers spécifique du second (lié à la franchise Afar) suffisaient à éviter toute confusion selon les juges. Le Tribunal a également noté que le consommateur moyen, utilisant des plateformes de téléchargement comme Google Play, se base avant tout sur les descriptifs, les images et les spécificités annoncées. Par conséquent, aucun risque de confusion n’a été retenu et les demandes en concurrence déloyales ont été rejetées.
Parasitisme : une inspiration légitime d’un concept banal
Enfin, MadBox accusait Lava Games de parasitisme, affirmant que l’éditeur britannique avait tiré profit de ses investissements et de sa notoriété. Cependant, le Tribunal a rappelé que, pour caractériser un acte de parasitisme, il faut démontrer une appropriation indue d’une “valeur économique individualisée“.
En l’occurrence, les juges rappellent que le jeu Pocket Champs repose sur des mécanismes de jeu communs (mode idle et courses), qui ne sauraient constituer une telle valeur. Le Tribunal a également souligné que Lava Games avait réalisé ses propres investissements significatifs pour développer et promouvoir Afar Rush.
En l’absence de preuve d’une “volonté déloyale” de se placer dans le sillage de MadBox, la demande en parasitisme a été rejetée.
Conclusion : l’innovation comme rempart
Déboutée sur tous les points, MadBox a été condamnée à verser 10 000 € à Lava Games pour frais de procédure. Un épilogue qui rappelle que l’inspiration, tant qu’elle reste loyale, est au cœur de la créativité dans l’industrie.
Cette décision souligne que les concepts de gameplay et les codes graphiques usuels des jeux vidéo relèvent du fond commun dans lequel les éditeurs peuvent librement piocher. Ce jugement (qui fera vraisemblablement l’objet d’un appel) invite en tout cas les éditeurs à innover pour se démarquer de leurs concurrents, quand bien même certains éléments ne sont pas appropriables.
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