Vers une cession « implicite » des droits d’auteur ?
Une cession de droits d’auteur est un acte qui nécessite un formalisme rigoureux.
L’article L.131-3 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) prévoit en effet que les contrats par lesquels sont transmis des droits d’auteur doivent prévoir une délimitation précise des droits qui sont transmis[1].
La jurisprudence avait néanmoins assoupli ce formalisme, puisqu’elle considérait notamment qu’« à l’encontre d’une partie commerçante, la preuve certaine et précise de la transmission conventionnelle du droit de reproduction, seul en cause en l’espèce, peut être faite par tous moyens »[2].
La Cour de cassation a ensuite plus largement considéré que ce formalisme obligatoire ne s’appliquait qu’aux contrats de représentation, d’édition et de production audiovisuelle alors énumérés à l’article 131-2 du CPI (dans sa version ancienne).
Ainsi, la Cour considérait qu’une cession de droits n’était « soumise à aucune exigence de forme et que la preuve pouvait entre être rapportée selon [les règles de droit commun de la preuve du Code civil] » à l’égard d’un non-commerçant, comme par exemple un créateur de mode salarié[3].
Néanmoins, la loi du 7 juillet 2016 a mis un coup d’arrêt à cette jurisprudence, en ajoutant un nouvel alinéa sous l’article L.131-2 du CPI : « les contrats par lesquels sont transmis des droits d’auteur doivent être constatés par écrit ».
Depuis l’entrée en vigueur de cette nouvelle disposition, rares ont été les décisions dans lesquelles une cession tacite de droits d’auteur fut admise en l’absence d’écrit ; les quelques exceptions à cette règle présentant d’ailleurs un contexte très spécifique[4].
Vers un retour à la jurisprudence antérieure par une nouvelle interprétation des dispositions du Code de la propriété intellectuelle ?
Un arrêt récent de la Cour d’appel de Bordeaux du 11 janvier 2024 (n° 23/02805) semble redonner un second souffle à ce courant jurisprudentiel qui semblait voué à l’abandon.
Dans cette affaire, une agence de communication a effectué entre 2008 et 2021 plusieurs réalisations graphiques pour le compte d’une société de négoce de spiritueux.
Un litige est survenu entre les parties en 2021 et il a été proposé par l’agence de communication de régulariser une cession écrite de ses droits sur les œuvres réalisées ; ce à quoi sa cliente lui a répondu qu’elle considérait que les droits d’auteur avaient déjà fait l’objet d’une cession implicite.
L’agence de communication a alors assigné sa cliente en contrefaçon.
La Cour d’appel de Bordeaux a donné raison à la société de négoce, en considérant que l’agence de communication était irrecevable à agir en contrefaçon dès lors :
– Qu’il « est constant qu’à l’encontre de la partie commerçante, la preuve certaine et précise de la transmission conventionnelle peut être faite par tous moyens» ;
– Que l’article L.131-3 du CPI qui conditionne la validité d’une cession de droits à la mention distincte des droits cédés dans l’acte de cession n’est applicable que dans les rapports entre l’auteur des œuvres et le premier cessionnaire (l’agence de communication ici) ;
– Qu’il résulte des faits de l’espèce que l’agence de communication ne pouvait ignorer que les commandes qui lui ont été passées impliquaient nécessairement la reproduction des œuvres destinées à être diffusées et reproduites sur les bouteilles et outils promotionnels de la société.
– Que les devis comportaient la mention « Cession des droits : [L’agence de communication] se réserve la propriété des prestations et des documents vendus jusqu’au paiement intégral du montant facturé TTC. Les axes créatifs non retenu demeure la propriété de l’agence » ;
Selon la Cour de Bordeaux, la société « est fondée à soutenir que la nature de la commande, la connaissance par [l’agence de communication] de la destination contractuelle des travaux commandés et son absence de contestation pendant de longues années, emportaient nécessairement dans la commune intention des parties, la cession implicite des droits d’exploitation pour la commercialisation des produits ».
Reste à savoir – dans le cas où cet arrêt ferait l’objet d’un pourvoi – si la Cour de cassation confirme cette interprétation libérale, ou si elle revient au principe d’un formalisme plus rigoureux pour la cession des droits d’auteur.
Dans tous les cas, pensez à vérifier que vos contrats respectent le formalisme imposé et la réglementation en vigueur.
Nos avocats en propriété intellectuelle peuvent vous accompagner dans la rédaction et la négociation de vos contrats de cession de droits d’auteur.
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[1] « La transmission des droits de l’auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l’objet d’une mention distincte dans l’acte de cession et que le domaine d’exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée. » (art. L. 131-3 du Code de la propriété intellectuelle
[2] Cour de cassation, 19 février 2002, n° 99-21.220
[3] Cour de cassation, 21 novembre 2006, n° 05-19.294
[4] Voir par exemple pour la cession des droits de l’auteur au profit de la société dont il était actionnaire, dans le contexte d’un pacte d’actionnaire (Cour de cassation, 1ère Civ, 14 juin 2023, n° 22-15.696).