Respecter des règles sectorielles ne permet pas d’échapper au droit de la concurrence

La Cour de justice de l’Union européenne a rendu récemment une décision concernant la régie autonome de l’aéroport international de Cluj (Roumanie) qui offre un rappel important sur l’articulation entre des règles sectorielles et le droit de la concurrence (CJUE, 27 février 2025, n° C-220/24).
Dans cette affaire, l’autorité de concurrence roumaine a reproché à la régie un abus de position dominante, en refusant à une entreprise l’accès à son infrastructure aéroportuaire afin d’exercer une activité d’assistance en escale entre 2015 et 2017.
La régie s’est défendue en considérant que son refus était parfaitement licite au regard de la directive européenne 96/67/CE, laquelle ne lui imposait d’accorder un accès automatique à son infrastructure que passé un certain seuil de mouvements de passagers, lequel n’était pas encore atteint pendant la période entre 2015 et 2017.
Selon la régie, la directive devait être interprétée comme une « loi spéciale dérogeant au droit général de la concurrence », reprenant dans son intérêt l’adage specialia generalibus derogant que nous connaissons tout aussi bien en droit français.
La Cour d’appel de Bucarest a ainsi renvoyé une question préjudicielle à la CJUE, en lui demandant si cette règle sectorielle devait être considérée comme excluant l’application des règles du droit de la concurrence sur l’abus de position dominante.
La CJUE a tout d’abord rappelé que la régie était bienfondée – sur le fondement de la directive – à donner son refus dès lors que le seuil n’était pas atteint.
En revanche, la CJUE a rappelé que « la simple existence d’une réglementation sectorielle ne saurait en aucun cas impliquer que le comportement en cause échappe aux règles de concurrence prévues par les traités, indépendamment du point de savoir si cette réglementation sectorielle est ou non applicable à ce comportement » (§27).
Il s’agit là d’un simple rappel de sa jurisprudence antérieure, puisque la Cour avait déjà eu l’opportunité d’affirmer ce principe s’agissant de l’usage par Astra Zeneca du droit de demander le retrait de ses autorisations de mise sur le marché pour ses gélules Losec. Astra Zeneca était parfaitement fondée sur la base de la directive 65/65/CE à demander ce retrait, mais celui-ci poursuivait un objectif anti-concurrentiel qui a pu être valablement appréhendé sous l’angle de l’abus de position dominante (CJUE, 6 décembre 2012, AstraZeneca/Commission,C-457/10, §132).
La Cour insiste en précisant que les « abus de position dominante consistent, dans la majorité des cas, en des comportements par ailleurs légaux au regard de branches du droit autres que le droit de la concurrence ».
Une nuance est toutefois apportée dans sa réponse – toujours conforme à sa jurisprudence antérieure, puisqu’elle indique que si une réglementation sectorielle ne peut pas permettre d’écarter le droit de la concurrence, elle peut toujours « être pertinente pour apprécier un comportement abusif » (CJUE, 27 octobre 2022, DB Station & Service, C-721/20 § 82).
Il convient donc de retenir de cette décision que la conformité d’une entreprise évoluant dans un secteur réglementé ne doit pas être appréhendé sous le seul prisme desdites règles sectorielles. La conformité de certains comportements doit être analysée au regard des règles sectorielles, mais aussi au regard du droit de la concurrence, des données personnelles, et autres règles de conformité éventuellement applicables à l’entreprise et ses activités.
A noter que Danièle BRIAND, Associée du Cabinet KEROSE, a apporté sa contribution sur ce thème en 2007 dans un long article publié dans la Revue Internationale de Droit Economique (RIDE), intitulé “Autorités sectorielles et autorités de concurrence : acteurs de la régulation“,
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