Peut-on insérer la marque d’un tiers comme mot-clé sur son site e-commerce pour vendre des produits similaires ?
L’essor d’internet a offert aux entreprises de nouveaux moyens de promotion de leurs activités, et de leurs produits et services.
Ce développement a aussi entrainé l’émergence de nouveaux comportements de la part de certains acteurs. L’objectif est d’utiliser des signes distinctifs tiers pour profiter – de façon plus ou moins subtile – de la notoriété des marques et des autres signes distinctifs concurrents.
Ces méthodes sont évidemment problématiques lorsque le site en cause ne propose pas de produits authentiques de la marque, ou n’en propose qu’en quantités insuffisantes (pratique de la marque d’appel).
Au fil des ans, les juridictions ont pu distinguer les comportements licites de ceux qui peuvent relever de la contrefaçon et/ou du parasitisme économique.
Le critère majoritairement retenu par les juridictions pour caractériser ou non la contrefaçon est celui de la visibilité du signe par l’internaute.
L’insertion d’une marque tierce dans le titre, la description ou le lien URL du site ou d’une annonce du site sur un moteur de recherche [1] relève de la contrefaçon lorsque le signe est bien utilisé à titre de marque, et non comme terme générique pour désigner des produits[2].
A contrario, l’insertion d’une marque tierce dans le code source ou les méta-tags pour améliorer le référencement du site en cause ne constitue généralement[3] pas une contrefaçon pour les juridictions. En effet, les méta-tags ne sont normalement pas visibles par les internautes, et ne peuvent donc remplir une fonction de marque qui doit être perceptible par le public[4]. Il en va de même pour la réservation d’une marque tierce comme « adwords »[5] ou mot-clé pour le référencement payant.
Ces comportements qui échappent au droit des marques peuvent toutefois être sanctionnés au titre de la concurrence déloyale / parasitaire.
Ainsi, la personne ayant délibérément inséré une marque tierce dans les méta-tags de son site pour bénéficier de la notoriété du titulaire de ladite marque commet une faute[6].
Plus rarement, il peut être considéré que la réservation de la marque comme mot-clé pour du référencement payant sur les moteurs de recherche est également fautive lorsqu’elle créée un risque de confusion chez l’internaute normalement informé et d’attention moyenne[7].
Un jugement rendu à l’encontre d’Amazon[8] offre un bel exemple des pratiques licites de celles qui ne le sont pas.
Dans cette décision, il a été constaté qu’Amazon avait utilisé la marque de linge de maison « Carré Blanc » dans le lien URL, le titre et la description de son site pour des annonces visibles depuis des moteurs de recherche. La marque a également été utilisée dans des méta-tags et pour du référencement payant sur les moteurs de recherche Bing et Yahoo.
Or, Amazon ne vend pas de produits de la marque sur sa place de marché, et les liens vers son site présentent uniquement des produits concurrents.
Sans surprise, la contrefaçon a été retenue pour l’usage de la marque dans les liens URL, les titres et descriptions d’annonces du site Amazon. En revanche, la contrefaçon n’a pas été caractérisée pour l’usage de la marque dans les méta-tags. Le référencement payant n’a été sanctionné qu’à cause de la présence visible de la marque dans les titres et descriptions des annonces.
Le critère décisif reste donc la visibilité de la marque par l’internaute pour caractériser la contrefaçon.
Il était également reproché à Amazon d’avoir proposé aux internautes la marque Carré Blanc comme suggestion dans l’outil de recherche de son site, mais le Tribunal a considéré que ce comportement ne pouvait créer de confusion dans l’esprit du consommateur moyen. La contrefaçon n’a donc pas été retenue sur ce point.
Amazon a été condamnée au paiement de 15.000 € à titre de dommages-intérêts, à cesser ces agissements sous astreinte de 5.000 € par jour de retard à compter du 31e jour suivant la signification de la décision, et à afficher sur sa page d’accueil un bandeau mentionnant cette condamnation pendant 5 jours.
En synthèse, l’utilisation de marques tierces dans une stratégie de référencement naturel ou payant reste très risquée. Il n’est d’ailleurs pas garanti que certaines pratiques aujourd’hui considérées comme licites par une juridiction le reste demain.
[1] TGI Paris, 3ème ch. 3ème sec., 29 janvier 2016, Un amour de tapis
[2] Voir par exemple la marque « Aquarelle » pour désigner des peintures et accessoires ; TGI Paris, 3e ch., 4e sect., 12 octobre 2017, n° 16/04316
[3] A contrario, voir CA Paris, 19 mars 2014, n° 2012/18656
[4] TGI Paris, 3e ch., 3e sec. 29 octobre 2010, Free / Osmozis ; CA Paris, 3 mars 2020, n° 18/09051
[5] CJUE, 23 mars 2010, Aff. C-236/08 à C-238-08
[6] TGI Paris, 3e ch. 12 oct. 2017, n°16/04316 « Aquarelle » et 26 février 2016, « Sapia c/ Humanis
[7] CA Paris, 3 mai 2017, n° 14/21219
[8] TJ Paris, 3e ch. 2e sec., 10 juin 2022, CARRE BLANC / AMAZON EU