Est-ce la fin des clauses d’intuitu personae unilatérales dans les contrats de franchise ?
Le recrutement des franchisés est une étape essentielle et structurante dans un réseau de franchise. Le franchiseur doit s’assurer qu’il remet son concept et son savoir-faire entre les mains d’entrepreneurs aptes à le réitérer.
Pour cette raison, la personnalité du dirigeant de l’entreprise franchisée est souvent déterminante de la volonté du franchiseur pour la conclusion du contrat de franchise.
Il est donc usuel d’insérer dans le contrat de franchise une clause d’« intuitu personae » adossée à une clause résolutoire, qui prévoit – en substance – qu’un changement de dirigeant ou de contrôle dans la société franchisée offrira la faculté au franchiseur de résilier le contrat à sa discrétion. L’intérêt de cette clause pour le franchiseur est évident : il contrôle les entrées dans son réseau et s’assure que son savoir-faire ne tombe pas entre les mains de concurrents ou de dirigeants inadéquats.
Habituellement, cette clause n’est pas réciproque puisque le franchisé s’engage plutôt en considération du concept et de la marque du réseau, que par rapport à la personnalité du ou des dirigeants du franchiseur.
Toutefois, dans un arrêt remarqué, la Cour d’appel de Paris[1] semble s’être opposée à cette pratique en considérant que la clause qui lui était soumise créait un déséquilibre significatif entre les droits du franchiseur et les obligations du franchisé.
La clause litigieuse prévoyait en effet que « le Franchisé s’engage à informer le Franchiseur de tout projet ayant une incidence sur la répartition actuelle de son capital ou de celui de son principal actionnaire, ou dans l’identité de ses dirigeants effectifs », avec – en ce cas – la possibilité pour le franchiseur de rompre le contrat de façon anticipée avec un préavis d’un mois avant la date de l’opération projetée.
La Cour a d’abord considéré que les conditions de déclenchement de la clause étaient imprécises – et donc excessivement larges – notamment du fait de l’emploi du terme « incidence ». Ensuite, elle confirme que l’économie du contrat de franchise « suppose également une prise en considération du franchiseur par le franchisé » à travers le concept, la marque, les perspectives de développement de l’enseigne… Et donc (selon la Cour) à travers la structure capitalistique et la direction du franchiseur qui pourrait avoir une incidence sur le franchisé et « bouleverser l’équilibre de son entreprise ».
Les juges concluent que l’imprécision et l’absence de réciprocité de la clause au profit du franchisé causent un déséquilibre significatif entre les droits du franchiseur et les obligations du franchisé. Ils soulignent par ailleurs que ce déséquilibre s’est vérifié en l’espèce, puisqu’une prise de contrôle du franchiseur par un concurrent a conduit à l’effondrement du réseau, passant de 89 points de vente à 4 en seulement 4 ans…
La clause a donc été déclarée nulle, et le franchiseur a été condamné à une amende civile ainsi qu’à des dommages-intérêts à l’égard de certains (ex)franchisés.
Doit-on en déduire que les clauses d’intuitu personae des contrats de franchise devraient être modifiées, afin de les rendre réciproques ?
Cette décision appelle avant tout à la prudence.
Tout d’abord, il faut rappeler que l’absence de réciprocité d’une clause n’en fait pas d’office une clause déséquilibrée. Une clause non réciproque (notamment d’intuitu personae[2]) peut être justifiée par la nature des obligations auxquelles sont respectivement tenues les parties[3].
La Cour pourrait avoir fait une confusion entre, d’une part le concept et la notoriété de la marque du réseau et, d’autre part avec les dirigeants / actionnaires du franchiseur. En effet, le savoir-faire, la marque et la notoriété sont des actifs immatériels attachés à la personne morale du franchiseur ; et non à celle de ses dirigeants ou actionnaires. Une clause d’intuitu personae unilatérale peut donc se justifier, en ce que la personne des dirigeants ou associés du franchiseur est généralement indifférente aux franchisés.
Ensuite, il faut également rappeler que le déséquilibre significatif ne s’apprécie pas clause par clause mais dans le contexte de l’économie générale du contrat[4]. Or, dans cette affaire, d’autres clauses du contrat ont été considérées comme créant un déséquilibre significatif.
Enfin, la Cour d’appel de Paris n’a pas fondé sa décision sur le seul critère d’absence de réciprocité. L’imprécision de la clause méritait – à elle seule – d’être sanctionnée au titre du déséquilibre significatif. L’effondrement du réseau suite au rachat du franchiseur par un concurrent n’a certainement pas aidé.
Il convient donc de ne pas faire hâtivement une généralité d’un cas particulier.
En cas de doute sur la licéité de vos clauses, KEROSE vous accompagne pour auditer votre contrat de franchise.
[1] Cour d’appel de Paris, 5 janvier 2022, n°20/00737
[2] Cour d’appel de Paris, 21 octobre 2011, n° 10/12570
[3] Cour de cassation, Commerciale, 26 janvier 2022, nº 20-16.782
[4] Cass, Com, 3 mars 2015, n°13-27.525 ; n° 14-10.907 ; Cass, Com, 4 octobre 2016, n° 14-28.013