E-réputation, notations en ligne & algorithmes : ce que la justice impose désormais aux plateformes d’évaluation

UN ARRET DE REFERENCE POUR SECURISER L’E-REPUTATION DES ENTREPRISES
La réputation numérique est devenue un actif stratégique. En quelques clics, un score automatisé peut se retrouver en tête des résultats Google et influencer la perception d’un prospect. L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris éclaire avec précision les limites juridiques des plateformes de notation en ligne et la manière dont les entreprises peuvent se protéger face à une évaluation erronée ou dénigrante.
Un “indice de confiance” de 2 %, puis 1 % : quand l’algorithme discrédite sans fondement
Tout part d’une recherche Google anodine menée par une jeune entreprise de vente et livraison de granulés de bois. Le premier résultat renvoyait vers une plateforme d’analyse automatisée attribuant un score de confiance de seulement 2 %, assorti de termes alarmants et de signaux visuels négatifs.
La fiche reposait pourtant sur trois critères minimalistes :
- site jugé “trop récent”,
- anonymisation du titulaire du nom de domaine dans la base Whois,
- enregistrement du domaine pour une durée d’un an.
Aucun avis utilisateur, aucune anomalie technique, aucune plainte client. Le lendemain, une seconde page apparaît sur un autre site du même éditeur, abaissant la note à 1 % et insinuant que l’entreprise chercherait à “censurer des informations”.
L’impact sur l’image était immédiat et visible.
La Cour d’appel recadre sévèrement : une méthodologie opaque peut constituer un dénigrement
La Cour rappelle d’abord le cadre : les plateformes sont libres de critiquer ou d’évaluer, mais uniquement lorsque leur analyse repose sur une base factuelle suffisante et qu’elle est exprimée avec mesure.
Or, en l’espèce, plusieurs éléments ont conduit la Cour à caractériser un dénigrement fautif et une faute sur le fondement du droit de la concurrence :
- Les critères retenus n’étaient pas pertinents : la jeunesse du site et l’enregistrement annuel sont des pratiques standard.
- L’éditeur de la plateforme applique les mêmes paramètres à ses propres sites, pourtant notés… 99 %.
- Les informations positives (mentions légales complètes, paiement sécurisé, cohérence géographique, avis favorables sur d’autres sites) n’étaient pas prises en compte.
- Le mode de calcul du score n’était pas transparent : critères incomplets, pondération inconnue, absence d’explications sur la méthode.
- La présentation générale (notations extrêmes, pictogrammes alarmistes) donnait une impression de dangerosité infondée.
Résultat : suppression ordonnée des pages litigieuses sur toutes les versions du site (française, anglaise, espagnole).
Réputation en ligne : les enseignements clés pour les entreprises
Cette décision fournit une véritable feuille de route pour les professionnels souhaitant protéger leur e-réputation contre des notations injustifiées.
- Garder une trace & documenter immédiatement l’atteinte
En premier lieu, il est essentiel de conserver immédiatement toute preuve de l’atteinte. Cela implique la réalisation de captures d’écran, le cas échéant assorties d’un constat d’huissier, ainsi que l’archivage de la position du site dans les résultats de recherche et de l’évolution du trafic impacté.
- Identifier précisément les erreurs de la fiche
Il est ensuite nécessaire d’analyser précisément le contenu de la fiche litigieuse. Les entreprises doivent identifier les critères erronés, les informations ignorées ou les lacunes dans la pondération, et relever l’ensemble des éléments objectifs venant contredire l’évaluation algorithmique. Cette approche méthodologique permet de formuler une contestation solide et de préparer, si besoin, une action contentieuse efficace.
Adresser une demande de retrait argumentée
Une démarche préalable et amiable visant à demander le retrait est indispensable. La Cour souligne toutefois qu’un ton excessif et non étayé affaiblit la démarche. Il faut exposer factuellement et point par point les informations inexactes et les données objectives non prises en compte.
- Recourir au référé en cas de refus
Lorsque la note est extrêmement défavorable et non fondée, ou quand une mise en demeure ne suscite aucune réaction, le terrain du trouble manifestement illicite par dénigrement peut permettre une suppression rapide.
Les plateformes de notation doivent revoir leurs pratiques
L’arrêt délivre également un avertissement explicite aux exploitants de plateformes de notation automatisée, en les invitant à revoir en profondeur leurs pratiques.
La transparence doit constituer un principe directeur : les critères retenus pour générer un score doivent être clairement identifiés, la méthode de calcul explicitée et la pondération compréhensible pour l’utilisateur.
Il leur incombe en outre de veiller à la cohérence des critères employés. Il n’est pas admissible de qualifier de “suspects” des comportements parfaitement standards dans l’industrie – tels que l’enregistrement annuel d’un nom de domaine ou l’anonymisation des données Whois.
La notation doit également intégrer les éléments factuels positifs dont dispose le site évalué, notamment la présence de mentions légales complètes, l’utilisation d’un prestataire de paiement sécurisé ou encore la cohérence géographique de l’activité.
Enfin, la présentation des résultats doit rester mesurée. L’usage de pictogrammes alarmistes ou de formulations anxiogènes ne saurait être justifié lorsque les données disponibles sont partielles ou ambiguës.
À défaut de respecter ces exigences de sérieux et de proportionnalité, l’éditeur s’expose à des actions pour dénigrement, à des demandes judiciaires de suppression et, potentiellement, à des condamnations au fond à des dommages et intérêts
Un arrêt de référence pour sécuriser l’e-réputation des entreprises
L’arrêt de la Cour de Paris s’inscrit comme un repère essentiel pour les entreprises confrontées à des évaluations en ligne générées par algorithmes. Il consacre un principe clair :
la liberté de critiquer ne dispense pas de sérieux, de transparence et de mesure.
Pour les entreprises, la réponse doit être rapide, documentée et argumentée. Pour les plateformes, l’enjeu est de sécuriser juridiquement leurs systèmes d’évaluation.
Un cadre qui, à terme, pourrait contribuer à assainir le marché de la notation algorithmique et renforcer la confiance numérique.
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